Le photographe Nanténé Traoré m’a demandé d’écrire autour de son travail et plus particulièrement autour de sa série Tu vas pas muter. Notre proximité affective m’a permis de produire le texte suivant.
Son travail sera présenté dans l’exposition collective aux Magasins généraux dans le cadre du Prix Utopi·e du du 17 au 22 mai 2022.
Nanténé Traoré est photographe et auteur. Il se présente comme un documentariste de l’intime, de la tendresse. Il nous parle souvent d’amour ou plutôt, par souci de justesse, des amours. Il les écrit, les lie et les délie dans un jeu incessant. Je suis tombé un peu amoureux de lui durant un confinement, en l’écoutant dans un podcast. Ce n’est pas seulement la douceur de sa voix, mais surtout son discours à la fois pertinent, poétique et politique sur ces sentiments amoureux dont on a tout autant de mal à échapper qu’à appréhender. Il nous parle d’intime, de visibilisation, de représentation, de tendresse et de transmission intracommunautaire. Ses archives sont particulièrement axées sur les milieux trans*, et ses nombreuses séries argentiques vibrent entre les traces documentaires des cercles qu’il côtoie. Dans son projet photographique Tu vas pas muter, il y interroge et y archive différentes manières de « faire communauté » au sein des parcours de transition des personnes trans* hormonées. Cet espace-temps, n’est pas seulement un espace médical, mais il est avant tout un espace de transmission, de savoirs, de convivialité. C’est une hétérotopie dans son sens le plus doux et le plus essentiel. Cette série dégage à mes yeux une tendresse hypnotique. Nanténé aime la photo et à l’évidence, il aime ses modèles. J’aime Nanténé et ses photos. Ses modèles sont-iels en quelque sorte, mes métamours ?
Il y a des amours tranquilles et il y en a certains plus dévorants. Les images l’obsèdent. Il me dit qu’il y pense jour et nuit que, parfois, il se réveille la nuit parce qu’il y pense, parce qu’une image le traverse ou qu’une photo doit être prise. Tout de suite. Maintenant. Un jour, je lui parlerai autour d’un thé de l’importance du sommeil. Cette obsession des images construit aussi son rapport à l’autre. Il me lance qu’il regarde les gens comme des morceaux de photo. C’est dans la superposition qu’il nous voit. Pas un regard froid, mais comme des draps imprimés qui s’accumulent sur un lit. Superposition d’intimes, de visages, de genres, de sexualités. Superposition de générations, d’amours et de tendresses. La photographie, chez lui, n’est pas quelque chose de figé, mais toujours en mouvement. Un peu comme une relation amoureuse.
Après un DNAP aux Beaux-Arts de Nantes métropole, il s’installe à Paris, où il vit et travaille aujourd’hui. On a beau habiter la même ville, notre connexion quasi quotidienne est principalement virtuelle. Son énergie et son enthousiasme l’emmènent de shootings, en lectures ou d’autres projets de manière constante. Mais c’est dans la rencontre directe avec les visages et les corps que s’exprime sa sensibilité. C’est les mêmes douceurs qui sont en jeu quand il partage un moment avec ces modèles ou qu’il nous montre ses photos. Quand il écrit sur ses images, il parle de saon modèle, mais il parle aussi de lui. Il situe, il nous dit qui il est au moment du shooting, il nous parle aussi de pellicule, de matière, de lumière. Il nous raconte tout avec une précision généreuse. Lorsqu’il écrit sur ses séances, c’est comme si on était avec elleux.
Mais son travail d’écriture traverse d’autres univers. Il publie également des articles de non-fiction, des poèmes et des commandes d’essais dans des revues et des magazines spécialisés. En 2021, il est publié chez Hachette pour l’ouvrage collectif Nos Amours Radicales. Puis, en ce début d’année 2022, c’est chez Gorge Bleue pour son recueil de poésie La Nuit T’arrache à moi. Il travaille actuellement sur différents projets, dont deux pièces de théâtre collaboratives, un manuscrit d’autofiction et un nouvel ouvrage collaboratif.
Que ce soit par la photographie ou par son écriture, Nanténé dissémine en douceur ses tendresses dans nos vies. Des petits feux pour nos cœurs engourdis, offrant à nos imaginaires affectifs restreints de nouveaux possibles à explorer.
Julien Ribeiro